Le 12 juillet 1998, ça avait commencé comme ça : Mise en jeu française, tête de Leboeuf récupéré par Rivaldo ; Thuram pour Guivarc’h en profondeur devant les buts brésiliens - sortie de but, remise en jeu pour le Brésil.
Devant le poste, on ne s’était pas ennuyé longtemps car, à la 27ème minute de jeu, il y avait eu ceci : Karembeu Thuram Karembeu sur l’aile droite ; Roberto Carlos - corner pour la France, tiré par Petit sur la tête de Zidane et but de Zidane.
Après, juste avant la mi-temps, les représentants de la France avaient remis le couvert de la façon suivante :Tir de Guivarc’h détourné par Taffarel - corner tiré par Petit pour Guivarc’h de l’autre côté – nouveau corner concédé par Junior Baiano. Djorkaeff pour la tête de Zidane, 2ème but de Zidane.
Ah ! Zizou savait alors où donner de la tête – on ne savait pas encore qu’il allait la perdre dix ans plus tard dans le sternum de l’odieux Materazzi.
Le 12 juillet 1998, dans la deuxième partie du match, après de nombreuses péripéties (dont l’atroce exclusion de Desailly) et occasions manquées, il avait fallu attendre la toute dernière minute pour obtenir la cerise sur le gâteau : Denilson récupération Dugarry, qui remonte sur la gauche pour Vieira qui passe à Petit devant le but de Taffarel et but de Petit.
On buvait du petit lait, on les aimait tous, on s’aimait tous en eux : rappelons nous leurs noms, à côté de celui de leur entraîneur Aimé Jacquet : Lizarazu, Djorkaeff, Deschamps (le capitaine) Desailly, Guivarc’h, Zidane, Thuram, Barthez, Petit, Leboeuf, Karembeu, Lama, Candela, Vieira, Blanc, Pires, Henry, Diomède, Boghossian, Trézeguet, Dugarry, Charbonnier.
Oui, voyons leurs noms écrits noir sur blanc, comme ceux de soldats victorieux de l’ultime bataille mondiale du football et, douze ans après, acceptons que ce moment historique, exceptionnel, appartienne au passé. Qu’avant tout, cette divine équipée de 1998 doit être enterrée.
Pourquoi ? Mais parce que leur souvenir encombrant ne peut qu’écraser tout ce qui est venu par la suite – et ladite suite l’a amplement démontré. On n’a cessé de les regarder jouer en les comparants aux demi-dieux de 1998. Ils ne pouvaient être que décevants. A ce titre, ils nous ont bien entendus et ont été à la hauteur de la bassesse notre désir : on ne pourra jamais faire aussi bien qu’eux, pensaient-ils sans doute à chaque toucher de ballon.
Il n’y a pas de raisons que cela change, et encore moins si Laurent Blanc devient le nouvel entraîneur de l’équipe de France – car c’est un des demi-dieux de 1998 qui sera alors là, en chair et en os, pour leur rappeler leur infériorité. On a donc tort d’augurer d’une suite meilleure avec Laurent Blanc. Un mécanisme est à l’œuvre indépendamment de sa bonne volonté, même avec une équipe renouvelée.
Alors que faire pour que leur désir de jouer au football revienne, et notre plaisir avec ? Ce n’est pas une question d’argent - Zidane et ses coéquipiers en gagnaient beaucoup aussi. Ce n’est pas une question de couleur de peau ou de sponsors. C’est une question de tabou : se débarrasser la finale de 1998. Mais comment ?
Ce premier acte de la refondation d’un nouveau groupe sera de détruire solennellement à coups de marteau un exemplaire de l’enregistrement vidéo de la finale du 12 juillet 1998. Ce sacrifice d’une icône dorénavant malveillante pourra être effectué dans les locaux de la Fédération française de football, sous la houlette d’un nouveau président, mais sans la présence de Laurent Blanc –décence oblige. Chaque joueur sélectionné donnera un coup de marteau sur le DVD maintenu par un dispositif adéquat prévenant l’éclatement afin que chacun puisse donner le sien en détruisant quelque chose. On jettera ensuite les débris à la poubelle en respectant le tri sélectif des déchets. Ensuite, le nouvel entraîneur fera son entrée. Il se présentera à tous en ces termes: « je suis Monsieur Blanc, votre nouvel entraîneur. »
Alors ils pourront recommencer à jouer en paix – même mal.
Un exorcisme, en somme. Les brésiliens adoreraient.
Article paru dans Libération en juin 2000