Editions Michalon, 2006 (165p. 15€)
Il y a maintenant plus de deux cents ans, Voltaire écrivait dans son Traité sur la tolérance, "Serons-nous toujours les derniers à embrasser les opinions saines des autres nations?". En matière de justice pénale, il a hélas toujours raison. Gardes à vue injustifiées, détention provisoire abusive,surpopulation carcérale, erreurs judiciaires spectaculaires ou banales, opacité des pratiques, fichages : lorsque nous avons affaire à la Police et la Justice pénale en France, nous ne sommes pas dans un de ces films américains où l'avocat arrive en superman et diligente une contre-enquête.
Comment, en sommes-nous arrivés là, alors que nous nous proclamons le Pays des Droits de l'Homme ? Pourquoi la Déclaration des Droits de l'Homme, notamment dans ses dispositions sur la présomption d'innocence et l'intervention de la police, est-elle à ce point bafouée dans notre pays, lanterne rouge en Europe à cet égard ?
Au fur et à mesure que je découvrais en tant que praticien comment le système pénal dysfonctionne dans notre pays, j'ai éprouvé le besoin de l'expliquer au grand public. C'était en 2005. Présumés coupables est paru en 2006, juste avant l'élection présidentielle, pendant laquelle le débat sur la Justice aurait du avoir lieu. J'y ai calculé le nombre moyen d'innoncents en prison chaque année. Effarant.
Libération avait alors publié ma lettre ouverte à Arnaud Montebourg, alors porte parole de Ségolène Royal.
J'y suggérais que soit inscrit au programme du Parti Socialiste tant l’abolition de l’odieuse « intime conviction », qui autorise en fait la condamnation en l’absence de preuves que l’interdiction absolue de condamner en présence d’un doute raisonnable. Serait-ce une réforme partisane que de proposer une modification constitutionnelle qui instituerait le droit pour tout citoyen de se prévaloir devant toute juridiction de la violation de la présomption d’innocence, tant lors de toute invite des forces publiques que pendant la garde à vue et tout interrogatoire, et ce à tout stade de la procédure pénale, cette garantie incluant notamment l’accès au dossier par l’Avocat de la défense dès la garde à vue ?
Bon. Il n'y pas eu de réponse. J'aurai du faire une lettre fermée plutôt qu'une lettre ouverte.
Quoi qu'il en soit, le débat n'a toujours pas lieu en 2009, et le livre est, à quelques lignes près, toujours d'actualité, hélas pour tout le monde. 1% de la population a été gardée à vue en 2008, soit 577.816 personnes. Je vous propose ci-dessous quelques extraits. En attendant, soyez toujours très courtois avec les policiers, ils sont bien surmenés.
Garde à vue
Le Tout Paris se bousculerait pour avoir le privilège d’être accueilli en garde à vue dans un commissariat ou une gendarmerie, et voici qu’un jour et selon les circonstances on se voit notifier une mesure de garde à vue. On rejoint alors la cohorte des 400.000 gardés à vue annuels (chiffres 2005). Peut-être à cause de l’outrage proféré, peut-être à cause d’autre chose, en tous cas le Procureur ou son substitut le sait et en est informé : qui dit garde à vue dit autorisation du Parquet. Vous avez bien lu du Parquet, et pas du Juge garant constitutionnel de votre liberté individuelle.
Ce n’est qu’en garde à vue que l’on se voit notifier des droits, et point immédiatement lors de l’arrestation. On doit pourtant en être informé immédiatement, mais dans la pratique, c’est toujours très compliqué. Cette disposition assez récente (1993) permet de nous faire croire que nous avons les mêmes garanties que les personnages des séries télé américaines. Depuis le mois de janvier 2001, on peut demander à s’entretenir avec un Avocat dès la première heure de garde à vue. Cette disposition très originale, et pour tout dire, farfelue dans notre système inquisitoire, institue la défiance à l’encontre du travail de la Police au cœur même de ses terres. Car la police travaille avec tant d’harmonie que l’Avocat est dès l’origine empêché de vérifier la régularité du dossier qu’elle constitue et du système de preuve qu’elle entend mettre en œuvre.
Ainsi, dès la 1ère heure de garde à vue, si la personne retenue par la police peut s’entretenir avec un Avocat, celui-ci n’aura pas eu accès à son dossier. Il pourra en revanche indiquer à son client la météo, ainsi que la température extérieure et lui dire qu’il a le droit de garder le silence. L’Avocat de toute façon n’assiste pas aux interrogatoires. Il pourra laisser une petite note au dossier relatant les conditions de son intervention. Si le Procureur estime que la personne retenue par la Police a participé à des faits très graves ou supposés tels, conditions interprétables largement selon les nouvelles dispositions des lois dites « Perben» l’Avocat n’est invité qu’à la 72ème heure de garde à vue. En conséquence, dans ce cas, pendant soixante et onze heures, la personne retenue par la police sera invitée à répondre à des questions personnelles et parfois juridiquement assez techniques sans l’aide de quiconque.
Par ailleurs, après enquête, si les faits n’étaient finalement pas si graves que cela et après-coup justiciables d’une garde à vue normale avec Avocat dès la 1ère heure, la procédure sera cependant jugée régulière. La garde à vue pouvant de toute façon se dérouler, dans cette dernière hypothèse, moins de 72 heures, l’opportunité de la présence d’un Avocat n’aura pas même besoin d’être évoquée. Ce dernier réapparaîtra bien ultérieurement, soit lors de la mise en examen par un juge d’instruction, soit devant le Tribunal correctionnel si la personne gardée à vue quitte le commissariat avec une convocation à se rendre à une audience pour y être jugée.
Tout ce que vous déclarerez pendant la garde à vue, ou même avant, sera consigné sous forme de procès-verbal que vous serez invités à signer, et le contenu de ces documents sera retenu ultérieurement contre vous, parfois des mois ou des années après, lorsque vous serez jugé pour l’outrage en question. Vous saurez alors qui vous êtes, et cela sera inscrit à votre casier judiciaire pour un certain temps. La lecture récurrente des Procès-verbaux de Garde à vue mène à remarquer une figure de style trop souvent délaissée par les romanciers : l’ellipse. La question n’est pas souvent mentionnée, mais la réponse est toujours remarquablement écrite.
La répression des prostituées, vers l'arbitraire au nom de la loi
"La République doit cette loi nouvelle à M. Sarkozy, également Maire de Neuilly sur Seine, ville bordant le Bois de Boulogne, de réputation qu’on connaît : « Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’un promesse de rémunération est puni de deux mois d’emprisonnement et de 3.750 euros d’amende. »
La tentative de racolage passif est également réprimée. Ces sont les articles 225-10-1 et 225-11 du Nouveau Code pénal.
On appréciera les vastes possibilités de répression que de telles dispositions permettent : dès que l’on tentera passivement de procéder au racolage d’autrui en vue de, on pourra se voir poursuivi. Si l’on y pense un instant, le racolage passif et la tentative de racolage passif sont en vérité bien difficiles à saisir. Qu’importe ! Alliés au système de la liberté de la preuve, ces deux délits pourraient au fond permettre de faire emprisonner toute la population.
Selon les Magistrats qui ont déjà jugé de ces cas, notamment les Cours d’appel, il suffit d’être assise en nuisette dans un fourgon stationné dans un lieu connu comme un lieu de prostitution. Ou bien, si l’on n’est pas en nuisette mais vêtue, de se tenir dans un tel lieu et de déployer une ombrelle multicolore afin d’être vue. Jusqu’où peut-on aller ainsi ? Nul ne le sait, car vaste et libre est la preuve du racolage passif et surtout de sa tentative. Ceux qui soutiennent que l’ex-régime des talibans, qui a régné en Afghanistan par le Ministère de la répression du Vice et de la propagation de la Vertu, aurait envié de tels outils juridiques et de telles possibilités répressives sont des mauvaises langues – il faut les leur couper et les faire dégorger au soleil sur les trottoirs de Neuilly, avec du sel dessus."
La suite où vous savez ....